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Aux sources du cacao à São Tomé-et-Príncipe

A São Tomé-et-Príncipe, archipel du golfe de Guinée, Claudio Corallo réinvente le goût des premières fèves. Aventurier, esthète des saveurs, le Florentin a transposé au café, puis au cacao, la philosophie des grands vins

Véronique Zbinden

Il est de ceux qui vous feraient croire que la planète a encore du rêve à offrir au coeur d'espaces vierges. Imaginez. Un rebelle au regard vert d'eau. 

Un fils de bonne famille quittant sa Florence natale «devenue un Disneyland pour touristes», après des études d'agronomie tropicale. On le retrouve dans la jungle du Kasaï oriental, remontant le cours du Congo sur une pirogue, Indiana Jones du cacao, chercheur de pépites, un peu Lévi-Strauss, un peu Bouvier lorsqu'il raconte avoir laissé son coeur dans ses plantations africaines.

C'est donc une étrangeté absolue de rencontrer Claudio Corallo, droit sorti du meilleur des romans de Donald Westlake (Kahawa), dans la première boutique suisse consacrée à ses produits*. Un mini-local niché derrière la gare de Nyon, couleur toile de jute. Une machine à espresso italienne, une plaque pour les chocolats chauds, un pacojet pour les sorbets cacao. Et tout autour, des emballages cartonnés ou argentés recyclables, d'une sobriété absolue, étiquetés soft 73% aux éclats de fèves, 80% sablé aux cristaux de sucre, des feuillantines rehaussées de poivre de São Tomé et fleur de sel, des billes de cacao pur à 100% roulées autour de gingembre confit extrapur. 

Une bombe d'énergie et de parfums floraux. Des fèves crues au goût d'olive verte que les grands chefs s'arrachent, à commencer par Yves Camdeborde. Et des fèves juste torréfiées dont on épluche le fin tégument pour les croquer et découvrir, ô surprise: aucune trace d'amertume, mais une puissance, une nature sauvage qui libère un foisonnement d'arômes, comme tous les chocolats exposés ici. 

«J'ai voulu revenir au fruit, à la plante, aux origines de tout le processus. Un chocolat amer est un chocolat qui a des défauts, qu'on tente de masquer en ajoutant d'autres arômes, telle la vanille». Pour Claudio Corallo, né dans les collines toscanes, où chacun presse ses olives et compare le résultat avec celui du voisin, il s'agissait d'un simple retour au naturel. Une évidence. 

Pourquoi et comment? Flashback. Dans les années 1970, le Florentin travaille dans la coopération à divers projets de recherche au Zaïre, se prend de passion pour ces terres où les hommes sont «encore vrais». Quitte son travail, se fait courtier en café et gagne suffisamment d'argent pour racheter une plantation désaffectée du Kasaï oriental. 

Ikela, à 350 kilomètres de Kinshasa, sur le fleuve Tshua, 2000 hectares, dont la moitié plantés en caféiers, avalés par la forêt tropicale. Claudio affrète un DC3 pour amener le matériel nécessaire à sa renaissance, débroussaille et ouvre une tranchée entre ciel et fleuve pour que respirent les caféiers. Il réhabilitera là des variétés anciennes de robusta et de liberica, abandonnées en raison de leur faible productivité, met sur pied en quelques années une des plus subtiles productions qui soient. Avant de devoir quitter précipitamment le pays avec sa famille, abandonnant ses terres, à l'arrivée des troupes de Kabila. 

Fasciné depuis toujours par le cacao, il a entre-temps obtenu deux concessions, dès 1997, à São Tomé-et-Príncipe, archipel volcanique noyé dans le golfe de Guinée. Un milieu du monde sur l'Equateur, un des derniers paradis sur terre où les récoltes se succèdent sans discontinuer de mai à février. Il rachète une plantation de caféiers à São Tomé, Nova Moca, et des cacaoyers sur d'anciens terroirs de Príncipe, Terreiro Velho. «Je m'intéresse depuis toujours au cacao, mais j'avais beau chercher de bons produits, je n'en trouvais pas.» Il s'avère que cet îlot minuscule (la moitié de l'île d'Elbe) est une terre promise pour la fève aztèque. 

D'anciennes variétés y ont été introduites d'Amazonie par les colons portugais au début du XIXe siècle. Avant l'hybridation. Claudio redécouvre et redonne sa noblesse à un forastero amelonado, cette cabosse originelle en forme de melon. Le terroir et la variété sont déterminants, mais aussi les méthodes culturales. Sa plantation à flanc de colline est ouverte de la mer à la colline, car «les feuilles doivent pouvoir bouger en permanence». Aventurier et puriste, Claudio Corallo mène ses recherches en laboratoire et sur le terrain simultanément. Quel est le moment idéal pour récolter, comment faire fermenter puis sécher les fèves? Et la torréfaction, quelle durée et à quelle température? A l'instar de l'huile d'olive, «les fruits doivent être bons et sains, et il importe de les préserver tout au long du processus de transformation». Cet esthète fou de saveurs a beaucoup cherché, beaucoup jeté, avant de trouver les courbes de température et les cycles optimaux du cacao. «Un chocolat même pur à cent pour cent n'est pas noir. Ou alors, c'est qu'il a été brûlé lors de la torréfaction. Une chaleur trop vive sépare le beurre de cacao de la masse, ce qui n'est pas nécessaire selon moi, mais fragilise.» 

A Vinexpo, seul invité extérieur au monde du vin, les producteurs de vins naturels l'interpellent sur sa philosophie cousine de la leur. Pour Nicolas Joly, star des vins de la Loire, Claudio Corallo fait lui aussi de la biodynamie. Lui rétorque: «Non, je fais tout naturel, mais je ne le fais pas exprès.» Alors, vigneron du cacao? «Le vin est un monde de tradition et de grande culture. Contrairement au cacao, où les efforts déployés ces derrières décennies ont surtout visé à accroître la rentabilité en sélectionnant des hybrides de plus en plus résistants, productifs et dépourvus de saveurs.»

Florian Silnicki